Rencontre avec l’artiste Catherine Duverger, qui a mené fin 2024 au centre pénitentiaire des Femmes de Rennes et à la Maison d’arrêt de St-Malo, un projet plastique et photographique autour de la morphologie des oiseaux, porté par l’association rennaise l’Œil d’Oodaaq. Ce projet, accompagné par la Ligue de l’enseignement d'Ille-et-Vilaine et Livre et lecture en Bretagne, a été soutenu par la Drac Bretagne et la DISP Grand-Ouest.

L’artiste
Catherine Duverger est une plasticienne et photographe rennaise, qui travaille globalement ce qui hante les paysages, les lieux et les êtres. Elle mène des enquêtes sociales plastiques et photographiques sur les lieux, ce qui les anime ou les meurtrit, par exemple autour des particularités du centre commercial 3 Soleils à Rennes.
Elle a aussi travaillé sur un épisode de pollution qu'a subi la rivière de la Seiche.
Elle est accueillie régulièrement par des structures culturelles rennaises (Phakt, les Ateliers du Vent, Printemps Bruyant), et lors de différentes résidences-missions. Elle a également créé avec Hugo Kostrzewa l’atelier du ventre, un projet artistique multisensoriel.
Elle est intervenue auprès de jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse à Dunkerque en 2019, puis en 2023 avec le projet Hello Birdy, qu’elle a souhaité reconduire avec les personnes détenues de Rennes et St-Malo en 2024. Cette expérience en détention lui semblait importante pour « se reconnecter à une vision globale du monde », intégrant tout type de lieu et de personnes.

Le partenaire culturel : L’Œil d’Oodaaq
Cette structure artistique rennaise a existé de 2011 à fin 2024, à partir du lancement de son festival dédié à l’art vidéo à Rennes et St-Malo, des projections et performances expérimentales dans des espaces publics et des lieux qui « sortent du cadre », pour questionner des enjeux de société.
À l’année, l’association mène des activités récurrentes autour des arts visuels, notamment la photographie et la vidéo. Elle intervient en matière d’éducation artistique et culturelle pour les scolaires et les publics plus éloignés (en détention, en Ehpad ou dans des centres sociaux), mais aussi en production en accueillant cinq à six artistes en résidence par an, et enfin en soutien à la création au sein du « lieu », un espace de travail partagé.
Blue Lévignat, coordinatrice de l’association, a repéré le travail de Catherine Duverger en février 2023, lors d’une exposition qu’elle présentait au Phakt : « elle propose un univers coloré et festif assez rare ». Ses expériences démontraient sa capacité à s’adapter à l’environnement carcéral, il lui a donc semblé pertinent d’accompagner Catherine pour la mise en place du projet Hello Birdy dans les établissements pénitentiaires de Rennes et St-Malo.

Le projet artistique en détention
Hello Birdy propose la fabrication d’objets qui s’apparentent à la morphologie des oiseaux (ailes, casquettes…), « l’un des seuls animaux que les personnes détenues peuvent apercevoir en prison… ». Elle a pensé ce projet en écho aux nombreux détournements d’objet qu’opèrent les personnes détenues (vêtements ou objets du quotidien).
À partir de photographies personnelles ou récoltées parmi celles du fonds public du Muséum d’Histoire naturelle de Londres par exemple, elle fait réaliser aux participants et participantes un prototype en papier, découpé avec des franges. Les motifs sont ensuite flashés sur du tissu et accrochés sur des sacs à dos, comme des prothèses. Cet assemblage donne lieu à des séances de stylisme original, auquel chacun et chacune s’essaie avec amusement.  
Catherine Duverger a clôturé sa quinzaine d’interventions par une prise de vues dans les deux établissements, au Centre pénitentiaire des femmes et à la Maison d’arrêt de Saint-Malo. Les personnes détenues ont alterné les rôles, photographes ou modèles, et ont pu se rendre dans des lieux extérieurs auxquels elles n’ont jamais accès, les jardins par exemple.

Le bilan
Pour Catherine Duverger, cette expérience lui aura permis « de prendre pleinement conscience de cette zone invisible de Rennes, pourtant en plein centre-ville, silencieuse, à-part », et de se confronter aux difficultés de l’enfermement et à ses conséquences possibles sur la santé mentale.
Elle a apprécié que le projet soit porté par l’intermédiaire d’une structure, L’Œil d’Oodaaq, et avec le soutien de la coordinatrice culturelle de la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine. Cela a « largement facilité son intégration à l’univers carcéral, et favorisé une logique d’acceptation par l’administration et le personnel ».
Elle souligne les délais importants, spécifiques à un projet mené en détention entre le dépôt du dossier par L’Œil d’Oodaaq et sa réalisation effective en octobre 2024 - un an et demi.
La coopération était selon elle très importante entre les détenues, notamment au Centre pénitentiaire des femmes : le stylisme et la prise de photographies ont été réalisés collectivement avec beaucoup de bienveillance et de solidarité. « Ces moments de rencontres ont redonné de la cohésion, créé du lien, presque dans une ambiance festive lors de la restitution du projet devant les autres détenues. Déguisées, travesties, les détenues ont vécu cette expérience comme un show, une performance ».
Chaque détenue a pu redécouvrir son corps, « autorisée à porter un costume comme un sac à dos, un chapeau, alors que ces accessoires sont interdits en détention. » Les prises de vue sont des moments de jeu, de mise en scène du corps.

Et pour se souvenir de ces moments uniques, conserver une trace de cet envol artistique en détention, et les montrer à leurs proches, les personnes détenues ont reçu début 2025 quelques-unes de leurs photographies, imprimées sur des cartes postales. Des œuvres à part entière qui montrent la créativité, l’inventivité et l’inspiration artistique des personnes détenues !